VISION #51 - Dolorès Marat

 
 

Rencontrer la photographe Dolorès Marat a été pour moi un véritable voyage. Nous ne sommes restées ensemble que quelques heures, assises dans sa cuisine, et ce fut un moment d’une grande douceur. Sa voix, son sourire. L’odeur des oranges posées sur la table. Le poil de Zoom, son chat, que je sentais se faufiler entre mes jambes. Cette lumière dorée qui irradiait la pièce. Un léger courant d’air qui passait par la fenêtre entrouverte. Sa manière de raconter les histoires. Résiliente, joyeuse, fragile.

En cet après-midi de mars, au commencement du printemps, le temps s’arrête. Même le son du vieux coucou semble surgir d’une autre dimension. J’éprouve cette sensation que Dolorès décrit au moment de déclencher l’appareil photo : une émotion intime, aussi vive qu’instinctive, que la photographie lui permet de cristalliser. Au fil de notre discussion, je comprends très vite la chance que j’ai de la rencontrer et d’écouter son histoire. Et surtout, je mesure l’importance de faire entendre sa voix de femme et de photographe.

 
 
Photo : Dolorès Marat, Sur le “Napoléon Bonaparte”, entre Marseille et Bastia, 2000, première photo décrite
 
 

Chaque vision est singulière, porteuse de sens et de changement. Le but de ce format est de rassembler de nombreux artistes et que chacun nous délivre sa vision et son expérience de la photographie.

 
 
Photos - plus haut : Dolorès Marat, La femme aux gants, 1987 - ici : Les amoureux du métro, 1989
 
 

Dolorès Marat naît à Paris en 1944. Elle passe ses premières années dans un orphelinat avec sa sœur, puis revient vivre auprès de sa mère à l’âge de huit ans, dans une petite maison du Val-de-Marne. Une vie très modeste et un travail domestique quotidien laissent peu de place à l’école. Pour soutenir sa mère, Dolorès commence à travailler très tôt comme couturière. Elle n’a que quinze ans et s’est déjà mise en tête qu’elle fera de la “photographie”. Elle ne sait pas très bien pourquoi mais la sonorité de ce mot, qu’elle a entendu en classe pour la première fois, lui a tout de suite plu. 

Un jour, elle tombe sur une petite annonce. Un certain M. Froissard cherche une femme de ménage pour son magasin d’appareils photo et de développement. Elle postule, il l’engage. Cette rencontre est décisive puisque c’est aux côtés de M. Froissard que l’apprentie laborantine et photographe va tout apprendre. Et qu’à partir de là, elle dit “ne plus jamais avoir quitté la photo”. Photographier est devenu vital pour elle.

 
 
 
 
 
 

Quelques années plus tard, installée à Paris, Dolorès entre comme laborantine et tireuse noir et blanc au magazine Votre beauté. Méticuleuse et discrète, elle réalise avec beaucoup de talent les tirages de photographes de renom, mais sans vraiment s’en rendre compte. Elle a peu de références photo à l’époque et ne fréquente pas le milieu de l’art, où elle ne s’est d’ailleurs jamais sentie à sa place. Quand le laboratoire noir et blanc ferme en 1985, Dolorès se met à la couleur et devient l’unique photographe du magazine. Elle commence à réaliser des reportages et des commandes. À partir de 1995, elle quitte Votre beauté pour devenir photographe indépendante et travaille sur commande pour des grandes marques et pour la presse quotidienne et magazine;

En dehors du travail, Dolorès élève seule ses deux enfants et n’a pas les moyens de financer des projets personnels. Pendant toutes ces années à Paris, elle ne prend que quelques photos, quand elle peut, dans le mouvement du quotidien. Tôt le matin avant d’aller travailler ou le soir en rentrant. Ce n’est que plus tard, une fois ses enfants devenus grands, qu’elle se dédie pleinement à sa pratique photographique. Avec ses économies, la photographe s’offre des tirages Fresson, dont les couleurs veloutées et la sensualité l’ont longtemps fait rêver. Elle arrive à s’organiser des voyages, New York, l’Égypte, la Syrie… Et partout où elle va, elle déclenche quand quelque chose la touche, réveille en elle une émotion. Discrète mais toujours à l’affût. Souvent, ce sont des personnes et des animaux seuls, des paysages vides. Des êtres et des lieux qui paraissent mis à l’écart du monde, et dont elle se sent proche. 

 
 
 
Photo : - plus haut : Dolorès Marat, La belle fille dans le tunnel, 1993 - ici : Le cow-boy, cinéma avenue des Gobelins, Paris, 1993, photo décrite
 
 
 

« Je ne peux pas déclencher si je n’ai pas un choc émotionnel. »

– Dolorès Marat

 
 
 
Photo : Dolorès Marat, La petite robe noire, "autoportrait", 1989, photo décrite
 
 

Dans ce podcast, la photographe nous parle de son enfance, qui l’a beaucoup marquée, et de l’arrivée de la photographie dans sa vie. Une révélation, sa voie. Elle nous raconte son premier métier de laborantine et tireuse. Les heures passées sous la lumière inactinique du labo photo, à perfectionner les tirages, parfois jusqu’à l'obsession. Le choc esthétique lorsqu’elle découvre un tirage Fresson pour la première fois et la promesse qu’elle se fait de s’en offrir un jour. Elle revient sur l’un de ses premiers reportages, en Corse, et cette nuit blanche passée à photographier la mer par le hublot de sa cabine, surexcitée. 

 
 
Photos : - plus haut : Dolorès Marat, La vache sacrée, 2000, photo décrite - ici : Le saut de King Kong, 2000
 
 

Elle évoque sa fascination pour la ville de New York, qu’elle découvre lors d’une commande et qui devient un nouveau défi, une autre ville à photographier que Paris. Elle décrit sa manière, instinctive, de déclencher depuis toujours, et nous partage sa passion, son émerveillement pour la photographie, restés intacts depuis ses débuts chez Froissard. Comme les sujets qu’elle photographie, elle explique que sa démarche est solitaire. Que sortir prendre des photos ou examiner une par une ses diapositives au moment de faire la sélection, c’est son moment à elle, sa bulle. Elle se confie : la photographie c’est son refuge, ce qui lui a permis de surmonter la timidité maladive qui l’a longtemps empêchée de parler. 

On vous laisse l’entendre, et on l’espère, vous toucher comme elle nous a touchés. Au-delà d’un parcours photographique incontournable, c’est l’histoire d’une femme et d’une artiste unique, abîmée par la vie, merveilleusement sensible aux autres et au monde, que la photographie a sauvée.

 
 
Photo : Dolorès Marat, Niagara, Toronto, 2000
 

Partenaires :

L'UPP, l'Union des Photographes Professionnels, organisation historique qui défend, représente et informe les photographes tout au long de l’année.

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Crédits :

Un texte et podcast réalisé et écrit par Lily Lajeunesse, produit par Aliocha Boi/Noyau.studio, monté et mixé par Virgile Loiseau et mis en musique par Gaspar Claus et son projet Tancade. Merci au label Infiné.

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